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Editrice au bord de la crise de nerfs
17 mai 2008

Peu importe le bouquet

ME0000051806_3Il aimait la peinture. ça l'aidait à tenir. Comme une paille dans sa bouche maintenue au-dessus du niveau de la mer. Lui en dessous avec ses semelles en plomb métal lourd non toxique. La peinture c'était son fil d'Ariane dans le bordel ambiant. Il se demandait des fois pourquoi il n'avait pas tout tenté pour éditer des livres d'art. Puisqu'il aimait ça. Il y pensait quand il oubliait la réponse, quand il était faible, sa conscience engourdie par l'alcool ou au contraire éveillée par la mort brutale d'un proche. Et puis ça lui revenait. Il avait pas eu l'occasion. La vie elle se fait toute seule si on n'y prend pas garde. On pèse des choix quand il y en a. Quand c'est le néant quotidien, le moindre plan est bon à prendre. Même si le plan c'est se retrouver à éditer des livres qu'il savait même pas que ça pouvait exister. Des livres pour apprendre à coller des stickers par exemple alors que le mode d'emploi est fourni avec (les stickers, pas les livres, faut pas prendre les lecteurs pour des cons non plus). Ou des livres pour apprendre à peindre des choses comme des champs de lavande ou des petits chats illuminés par un coucher de soleil sur une plage paradisiaque. En 10 étapes. Laissez votre créativité s'exprimer. Devenez artiste en 15 leçons. Il aimait pas mentir. Alors les phrases des quatrièmes de couverture il les pompait sur celles des concurrents. Enfin, au début parce qu'avec le temps ça venait tout seul. Pas les mensonges, les phrases toutes faites.
Et puis de toute façon le livre d'art était en crise. Ils avaient inventé le mai du livre d'art pour booster les ventes. Mais bon, les éditeurs mangent aussi les onze autres mois de l'année. La crise, c'était à cause de Taschen, qui avait cassé les prix avec son système d'impression en plusieurs langues (augmentation des chiffres de tirage = économie d'échelle). Les gens s'étaient habitué à acheter des livres d'art pas cher. Maintenant c'était foutu. Les autres s'étaient alignés. En rognant sur les marges. L'autre fautive c'était la RMN, qui publiait des catalogues d'expo sans payer les prix des reproductions et en faisant banquer les autres éditeurs qui empruntaient les clichés via sa photothèque. Enfin, c'est ce qu'on lui avait raconté. Mais c'est vrai que ça coûte cher de publier des livres d'art... surtout quand l'artiste est encore vivant ou mort depuis peu (moins de 70 ans). Les artistes morts depuis très longtemps c'est moins cher... c'est comme ça que se font les choix icono des livres d'art, beaucoup de vieux morts et peu de vivants... alors quand un éditeur investit dans une monographie d'artiste contemporain il a intérêt à faire coïncider la date de publication avec une exposition - et oui, c'est pas pour rien qu'à chaque expo les livres sur le même artiste poussent comme des champignons après la pluie... sinon on lui aurait cassé les couilles pour rien. Parce qu'en plus un artiste vivant, ça fait chier, comment lui expliquer que 4 encres d'imprimerie (cyan, magenta, jaune et noir) ne permettront jamais d'obtenir la couleur composée de quinze, vingt, trente teintes sur la palette ? Sans compter qu'il y a plusieurs pages imposées sur la feuille d'impression, les couleurs s'altèrent entre elles. Mais bon, il parait qu'ils veulent rien entendre. Ils persistent à mettre le bouquin à côté de la toile et à dire que c'est pas pareil.
Il aimait la peinture, mais bon les livres d'art c'était pas plus utile que la carte postale d'un lieu magnifique. ça rendait pareil, petit, plat et rectangulaire, alors qu'une toile elle l'emmenait. Loin. En lui, profond. Ou ailleurs. Des fois il en avait les larmes aux yeux. De suivre des lignes sur la toile comme un secret pour lui seul. Des fois il pénétrait la matière comme un univers parallèle. Et son coeur éclatait. Les éclats diffusés dans tout son corps. L'envie lui prenait de voler. La toile. De l'emmener loin des barbares qui écoutaient leurs audioguides les yeux au plafond, ou les cousins des barbares qui passaient plus de temps à lire les étiquettes qu'à regarder les oeuvres.
Fautrier___Bouquet__Galleria_Tega_Il aurait aimé leur rendre le silence et le face à face.
Le temps aussi.
Regarder jusqu'à s'oublier.
Peu importe le bouquet,
seule la peinture compte.








En haut : Femme à la potiche, Degas, 1872.
En bas : Bouquet, Jean Fautrier, 1928.


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Commentaires
E
Merci Mû. Vous avez raison, il y a tant à dire sur ce milieu comme sur tous ceux où les oeuvres de l'esprit sont soumises aux lois du marché... galeriste, éditeur, DA de maison de disque, réalisateur, tous le cul entre deux chaises... beaucoup ont fini par choisir le coussin de velours aux pieds du maître... les autres errent, loups hirsutes comme dans la fable...
M
J'aime particulièrement la dernière partie du billet, à partir de "alors qu'une toile elle l'emmenait..."<br /> C'est votre ressenti, n'est-ce-pas ? pas seulement celui de ce "il" réel ou imaginaire.<br /> Il y a tellement à dire sur le milieu de la peinture, côté marchand ou éditeur, mais aussi côté créateur (celui où j'ai été immergée, dans une autre vie...).<br /> Belle journée à vous,
M
La piqûre de rappel est efficace ! Lu, il me faut relire, la peinture a fait partie de mon univers. Je reviendrais donc....
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