Demain
Les bureaux sont encore vides. Bientôt ils vont revenir. Plus gras et pleins de bonnes résolutions. Ne plus fumer, boire moins de café (et sans sucre), se coucher tôt, perdre du poids, économiser pour les vacances, aller voir mémé plus souvent, faire du sport, manger des légumes, regarder Arte, arrêter l'alcool. Les traces de Noël seront visibles, nouveau téléphone portable, nouvelle cravate, nouveau parfum. Ils se raconteront les jours de congés. Tout sera normal. Cela m'ennuie d'avance tout ça. ça. Les paroles qu'ils attendent. C'était super, on a eu un temps magnifique, il a fait froid, les enfants ont été gâtés, on a trop mangé. Et tous les ans on la rejoue. Très vite, on va parler de la présentation 2008. Un rappel des livres parus en 2007, on met l'accent sur les best-sellers. Même si les boss les ont acceptés, les éditeurs édités, les fabricants fabriqués, les communiquants communiqués, les représentants présentés, on en reparle, on doit mettre en avant notre boulot, nombre de titres parus, toujours plus que l'année précédente, chiffre d'affaires, toujours plus que l'année précédente, avec le sourire, avec conviction, annoncer ceux à venir, même si les titres sont bidons, les textes encore dans le cerveau des auteurs, les contrats dans les ordinateurs, et d'autres des idées à exposer, à valider, à mettre en forme, pour qu'elles deviennent de jolis parallélépidèdes rectangles pas trop lourds (pour les frais d'expédition), pas trop grands (pour rentrer dans les rayons des librairies), pas trop chers (pour être compétitifs). Nous serons dans la salle 666. Il y aura les boss à droite, les représentants autour de la table en U, les éditeurs debout venant chacun à leur tour répéter ce que l'on pourra lire sur les diapos de la présentation Powerpoint. Il y aura le directeur éditorial qui donnera les axes, fixera les objectifs. Il y aura le ciel sur les toits et les tours de Notre-Dame non loin derrière les fenêtres qui ne s'ouvrent pas. Il y aura la Seine à ses pieds où autrefois accostèrent des barbares venus du Nord et où les lavandières frottaient le linge sale. Il y aura le centre commercial des Halles où autrefois le ventre de Paris palpitait, il y aura les quartiers populaires à l'Est où autrefois les vergers s'étendaient, il y aura la Province autour, des plombiers jurant sous des éviers, des grands céréaliers remplissant leurs dossiers de demande de subvention, des écoliers apprenant les droits de l'homme et la supériorité de la France, des cadres dynamiques esquissant l'avenir dans les technopôles, des femmes usées épluchant des patates à la table de cuisines, des arbres dressés solitaires dans l'air froid et limpide de l'année naissante, il y aura des drapeaux plantés dans des sols étrangers, des avions dans des ciels sans toits, des corps dans la terre laissant apparaître leurs os, d'autres dans la nuit priant et nettoyant leurs armes.